Les limites de la rémunération variable individuelle (A. Astouric).
En vérité, à partir du moment où un système de rémunération prévoit une part variable individuelle, tant que les résultats sont là, la tension générée par la promesse d’un « bonus » peut, dans une certaine mesure, doper les performance.
Cela dit, il serait hasardeux de parler de motivation, au sens strict, par le biais de la seule rémunération variable individuelle.
La motivation passe par des mécanismes plus complexes.
D’où les cinq limites inhérentes à tout système de rémunération variable individuelle.
- La première limite […] touche au fait que le système, quelquefois désigné sous l’appellation « contribution rétribution » peut amener le salarié à effectuer des actions servant d’avantage ses propres intérêts que ceux de l’entreprise, l’institution ou l’organisme. Une situation devenue possible depuis que la plupart des gens ont à effectuer un travail multitâche […]. Au détriment en particulier des aspects qualitatifs forcement plus difficiles à mesurer car subjectifs par nature […]. Un exemple courant est celui de l’acheteur « tueur de coût » ne se préoccupant que de sa part variable, alors que la fonction d’acheteur consiste aussi à préparer l’avenir […] ;
- La deuxième limite notable apparaît lorsque l’on constate que la rémunération variable peut littéralement exacerber la compétition entre collaborateurs. Il n’est en effet pas rare que certains, obnubilés par l’atteinte de leurs objectifs personnels, n’aient tendance à ne s’intéresser qu’à leurs propres succès au détriment, non seulement de leurs collègues, mais au détriment aussi de la performance globale de l’entreprise, l’institution ou l’organisme […] ;
- La troisième limite s’inscrit en tant que conséquence directe de la compétition entre collaborateurs puisque l’on observe depuis quelques années des effets pervers directement liés à cette part individuelle : montée de l’agressivité dans les équipes, parasitage de la communication interpersonnelle, rétention d’informations, effondrement de l’esprit d’équipe […] ;
- Nous situerons la quatrième limite au niveau de la confiscation du sens du travail que le système de rémunération variable individuelle a tendance à réduire au statut de chiffre. En se bornant à mesurer les écarts vis-à-vis des résultats attendus, il ne prend pas suffisamment en compte la complexité du travail. Il mesure, au mieux, non pas le travail mais les résultats de celui-ci. Tout le reste est oublié : les impondérables pourtant fréquents ; les indispensables ajustements quotidiens ; les solutions (voire les ruses) à inventer pour surmonter la résistance du réel ; la nécessité journalière d’interpréter certaines règles […] ;
- Enfin, cinquième et ultime limite importante du système de rémunération variable individuelle, on observe des cas de dévoiement dans lesquels la part individuelle n’est plus utilisée comme objet récompensant une performance réussie mais, à l’exact contre-pied, comme un moyen de pression. Par exemple, pour inciter un senior à accepter un départ anticipé en faisant en sorte que sa rémunération globale soit systématiquement inférieure au coût de la vie […].
Pour conclure […], alors que les syndicats redoutent des dérives liées à l’incertitude, avançant que dorénavant aucun salarié n’est assuré de gagner plus d’une année sur l’autre, et constatent depuis une décennie la baisse systématique de pouvoir d’achat […], les choses sont nettement plus assurées du côté des consultants spécialisés en la matière :
« Si votre système de rémunération variable est bien conçu, réjouissez-vous de verser une part variable importante à vos collaborateurs. Cela signifie qu’ils ont su se stimuler l’un l’autre, pour vous faire gagner bien plus que vous ne leur versez ».